La suite D'Ali Baba

Pendant ce temps, le voleur avait rejoint sa troupe dans la forêt et sans
Quand les quarante voleurs revinrent à leur repaire, ils furent désagréablement surpris…


perdre de temps ils entrèrent dans la ville. Le chef des voleurs, guidé par celui qui avait dirigé l’enquête, arriva devant la première porte marquée par Morgiane.
— C’est ici ! dit-il à son maître.
Mais comme ils continuaient à chevaucher, afin de ne pas attirer l’attention sur eux, le chef fit remarquer à son sous-ordre que les quatre ou cinq portes suivantes portaient la même marque.
…Venez avec moi jusqu’à l’endroit où l’on vous a bandé les yeux.
— Pourtant, capitaine, je n’en ai marqué qu’une seule ! Malheureusement, il m’est impossible de la distinguer des autres.
L’entreprise ayant avorté, les quarante voleurs revinrent dans la forêt ; séance tenante, le conducteur de l’enquête eut la tête tranchée. Aussitôt l’un d’eux proposa de reprendre la tâche de celui qui venait de périr, et il s’en fut à la ville.
Tout se passa de la même manière que la première fois : il corrompit Baba-Mustafa, qui le conduisit à la demeure d’Ali-Baba. Comme son prédécesseur, il fit une marque à la porte mais, au lieu d’employer de la craie, il la traça au crayon rouge et dans un endroit moins apparent.
Comme la veille, Morgiane sortit de la maison quelques instants après et, quand elle y rentra, la marque rouge frappa sa vue. Elle s’empressa d’aller marquer les portes voisines.
La tentative des brigands échoua de nouveau, et ils se retirèrent dans la forêt où le voleur qui avait commis la méprise subit le même châtiment que son camarade.
Le chef de la bande résolut alors de conduire lui-même l’enquête. Quand Baba-Mustafa l’eut amené devant la maison d’Ali-Baba, il l’examina si minutieusement qu’il fut bien sûr de la reconnaître.
Ses hommes l’attendaient dans la grotte. Il les chargea d’acheter dix-neuf mulets et trente-huit outres dont une seule remplie d’huile. Dans chacune des trente-sept outres vides frottées d’huile à l’extérieur, afin que personne ne doutât qu’elles ne fussent pleines, le chef fit entrer un des voleurs et conduisitle convoi tout droit à la maison d’Ali-Baba. Justement celui-ci prenait le frais à sa porte, après le dîner.
— Seigneur, lui dit-il, j’arrive de bien loin avec ce chargement d’huile que j’irai vendre demain au marché. Il est tard, je ne sais où me loger et je vous serais très obligé, si cela ne vous dérange pas trop, de vouloir bien me recevoir chez vous !
Le brigand traça hâtivement une marque sur la porte.
— Entrez ! répondit Ali-Baba sans hésitation, soyez le bienvenu.
Il commanda à un de ses esclaves de mettre les mulets à l’abri. Ensuite, il pria Morgiane de préparer à souper pour son hôte, et lui tint même compagnie tout le long du repas. Le dîner terminé, Ali-Baba alla à la cuisine et dit à Morgiane :
— Demain j’irai au bain avant le jour, fais-moi donc un bon bouillon, que je prendrai à mon retour !
Pendant ce temps, le chef des brigands s’était glissé dans la cour.
— Lorsque je jetterai des petites pierres de la chambre où je suis logé, dit-il tout bas à chacun, vous fendrez l’outre du haut en bas avec le couteau dont vous êtes armés. Vous en sortirez aussitôt…
Quant à Morgiane, elle mit le pot-au-feu pour faire le bouillon. Elle était en train de l’écumer, quand la lampe s’éteignit ; elle s’aperçut que sa provision d’huile était épuisée, ainsi que la chandelle. Elle résolut de prendre un peu d’huile dans l’une des outres de l’hôte de son maître.
Elle alla dans la cour et s’approcha du premier récipient ; mais elle demeura stupéfaite en entendant une voix étouffée qui demandait :
« Est-ce le moment ? »
Morgiane s’aperçut que cette question partait de l’intérieur de l’outre ; et, sans perdre sa présence d’esprit, elle répondit tout bas : « Non, pas encore… mais bientôt ! » À chaque outre elle reçut la même question et fit la même réponse. Quand elle fut à la dernière — la seule qui fût pleine d’huile — elle en emplit son vase et revint à la cuisine, persuadée que son maître avait donné asile à trente-huit voleurs.
Elle ralluma sa lampe, prit une grande chaudière et retourna dans la cour pour l’emplir d’huile à son tour. Puis elle la mit sur un grand feu, afin que le liquide bouillît rapidement et, dans chacune des outres contenant un voleur, elle versa l’huile toute bouillante, leur enlevant ainsi la vie sans qu’ils eussent le temps de se défendre.
Elle accomplit cela sans faire le moindre bruit, après quoi elle éteignit sa lampe et se posta à la fenêtre de la cuisine, pour observer ce qui allait se passer. Elle n’était pas là depuis un quart d’heure que le chef des voleurs donna le signal convenu en jetant des petites pierres. Ne percevant aucun bruit, il se précipita dans la cour, et, approchant des outres, une odeur d’huile chaude et de brûlé lui saisit les narines. Il comprit que son entreprise venait d’échouer une fois encore et qu’il n’avait plus qu’à fuir.
Au retour du bain, Ali-Baba ne manqua pas de se trouver surpris en voyant les outres d’huile dans la cour. Morgiane raconta alors à son maître ce qu’elle avait fait pendant la nuit, et le mit au courant des marques tracées sur la porte.
— Tout ceci, dit-elle en terminant, est l’œuvre des brigands de la forêt… Ce que je ne m’explique pas, c’est qu’il en manquait deux… Il faut donc vous méfier encore…
— Morgiane, répartit Ali-Baba, je n’oublierai jamais que je te dois la vie… Et, en attendant, je t’affranchis de l’esclavage !
— Seigneur, dit-il, j’arrive de bien loin avec ce chargement d’huile.
Aidé par Morgiane, Ali-Baba creusa au bout de son jardin une fosseimmense, dans laquelle il enterra les corps des trente-sept voleurs, afin de ne pas éveiller l’attention de ses voisins ; puis il cacha les outres et les armes et fit vendre les mulets sur divers marchés.
Morgiane versa de l’huile bouillante dans chacune des outres.

Cependant le chef des voleurs ne se tint pas pour battu, et, de retour à la grotte, songea aux nouveaux moyens qu’il allait employer pour se débarrasser d’Ali-Baba. Dès le lendemain, il revint à la ville et se logea dans un khan (bazar), où il transporta de riches étoffes et des toiles fines qu’il trouva dans son repaire de la forêt. Puis il loua une boutique vis-à-vis de celle occupée naguère par Kassim et actuellement par le fils d’Ali-Baba.
Le chef des voleurs qui se faisait appeler Khodjah Houssain, ne tarda pas à se lier avec le jeune homme. Il poussa l’amabilité jusqu’à lui faire des cadeaux et des invitations. Le fils d’Ali-Baba se crut naturellement obligé de lui rendre ses politesses. Il consulta son père, qui lui dit de s’arranger pour faire le lendemain une promenade avec Khodjah Houssain et, au retour, de l’inviter à prendre place à sa table, ce qu’il fit, mais Houssain refusa de rester à souper, prétextant qu’il ne mangeait aucun mets salé. 
— Qu’à cela ne tienne, reprit Ali-Baba, je vais donner les ordres nécessaires. Et il s’esquiva pour donner de nouveaux ordres à Morgiane.
Celle-ci ne cacha pas son mécontentement et se promit bien de connaître cet homme qui ne mangeait pas de sel. Dans ce but, elle aida Abdallah, l’esclave d’Ali-Baba, à porter les plats sur la table et elle reconnut tout de suite, malgré son déguisement, le chef des quarante voleurs, qui dissimulait un poignard sous son habit.
Le chef des voleurs ne tarda pas à se lier avec le fils d’Ali-Baba.
Je m’explique, maintenant, pourquoi le misérable ne veut pas manger de sel avec mon maître [1], il médite quelque mauvais coup… Heureusement, je suis là pour l’empêcher d’accomplir son dessein ! se dit Morgiane.
Elle se vêtit d’un costume de danseuse, et noua autour de sa taille une ceinture d’argent doré, où elle passa un poignard et, accompagnée d’Abdallah avec son tambour basque, pénétra dans la salle et exécuta plusieurs danses. Pour terminer, elle tira le poignard de sa ceinture et imagina des figures d’une diversité surprenante, feignant tour à tour de vouloir frapper un invisible spectateur. 
Enfin, elle prit de la main gauche le tambour de basque des mains d’Abdallah, et le présenta à Khodjah tandis que, dans sa main droite, elle tenait le poignard. Khodjah Houssain avait déjà tiré sa bourse et se préparait à l’ouvrir quand Morgiane, en possession de tout son courage lui enfonça le poignard dans le cœur, si profondément que la mort fut instantanée.
Morgiane lui enfonça le poignard dans le cœur.
Dégrafant l’habit de Khodjah Houssain, elle montra à Ali-Baba le poignard dont il était armé.
— Comprenez-vous, maintenant, pourquoi votre hôte refusa de manger du sel avec vous ? Et ne reconnaissez-vous pas en lui le faux marchand d’huile, le chef des quarante voleurs ?
— Morgiane, répliqua Ali-Baba, je t’ai promis une récompense digne de tes bienfaits : je te choisis pour belle-fille !
Le fils d’Ali-Baba consentit volontiers à épouser Morgiane, et leurs noces furent célébrées quelques jours après. 
Le faux Khodjah Houssain fut enterré secrètement dans la fosse qui contenait les corps de ses trente-sept complices.
Ali-Baba, ignorant toujours ce qu’étaient devenus les deux voleurs qui complétaient la bande, se garda de retourner à la grotte enchantée. Cependant, au bout d’un an, il entreprit le voyage en s’entourant de mille précautions. Il se présenta devant la porte et prononça le : « Sésame, ouvre-toi » ; aussitôt la porte s’ouvrit et un coup d’œil lui suffit pour se rendre compte que personne n’était entré depuis la mort du chef des brigands.
Et c’est ainsi que, de père en fils, dans la famille d’Ali-Baba, on se transmit le secret de ce fabuleux trésor, grâce auquel lui et ses descendants vécurent dans le luxe et la splendeur.

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